A propos de la 1ère session du Synode sur la Synodalité

(L’évènement synodal qui confirme que la conversion peut être un combat spirituel)

 (Nous sommes quelques jours après la fin de la première session du synode sur la synodalité et quelques jours avant la parution du 30e Bulletin Théologique. Certes, ces deux évènements n’ont pas la même importance, mais ne peut-on pas considérer que le Bulletin participe de la synodalité non seulement par les articles publiés sur le sujet, mais aussi dans sa démarche même où manquent toutefois un intérêt et une participation cléricale (ce n’est pas faute de l’avoir proposée et espérée). En ces circonstances, je voudrais partager quelques impressions et réflexions sur ce que nous avons connu.)

J’évoquerai la phase préparatoire pour rappeler que l’appel aux contributions de tous a été lancé par le pape François dès le premier synode qu’il a convoqué. L’écho de ces appels croît. Toutefois, il faut malheureusement enregistrer un bilan d’ensemble plutôt lamentable, marqué par le peu de travail effectué (dans les paroisses et les diocèses), et un cheminement largement séparé :  laïcs d’un côté et clercs de l’autre mis (à l’exception notable de prêtres ayant connu le concile de Vatican II). Cette inertie cléricale confirme l’état de fait d’une dichotomie qui s’imagine peut-être justifiée par une différence d’essence entre laïcs et prêtres ou, pire, par une résistance pour conserver les pouvoirs. Ajoutons l’usage de la langue de buis et un consensus mou, et nous rendons une copie qui ne vaut pas la mention passable.

Heureusement, la France et même le monde occidental n’étant pas le centre du monde (chrétien), cette phase préparatoire – avec ses assemblées continentales et le secrétariat du synode ayant fait un travail remarquable – n’a pas accouché d’un enfant mort-né. Il est sans doute trop tard, en termes évènementiels, pour se pencher sur l’Instrumentum Laboris et top tôt pour en mesurer les effets sur les travaux de l’assemblée et ceux qu’il nous est encore possible d’entreprendre.

Cette phase a aussi été marquée par la publicité des critiques de certains cardinaux en opposition ouverte au pape et dans la lutte souterraine. Leurs critiques ont été rédigées sous forme de « doutes », dont l’expression peut sembler sincère et inquiéter certains. Le pape a eu la bonté de leur répondre (et plus probablement à ceux qui étaient prêts à les suivre), usant d’un langage simple et actuel, comme à son habitude. Avec pédagogie, sa réponse était une illustration claire du développement du dogme.[1]

Du déroulement de la session, je ne peux pas dire grande chose puisque, dans l’ensemble, le secret en a été bien respecté. Ce secret avait pour but évident et nécessaire de soustraire l’assemblée aux pressions médiatiques de toutes sortes, dont il ne faut pas méconnaitre la force et les effets. Mais on peut regretter que ce secret ait, de fait, laissé les chrétiens en dehors et, par conséquent, non mobilisés, non incités, déjà, à cheminer ensemble. À l’inverse, on peut considérer que la publicité et les indiscrétions sur les débats et les tensions durant le concile de Vatican II ont pu participer à sa réception par ceux, innombrables, qui suivaient avec attention, voire passion, le déroulement du concile.

Cependant, à certains égards, il s’agit bien d’un évènement, comme l’a été le concile Vatican II [2]. Je crois donc qu’il faut lire ce synode comme un prolongement dans la ligne de Vatican II qui, lui-même reprenait Vatican I. Ce dernier concile avait défini l’infaillibilité du pape, mais avait été interrompu par la guerre. Les ultramontains se sont ainsi sentis confirmés dans leur vision centralisée, hiérarchisée, de l’Église. Vatican II était donc une continuation nécessaire pour situer le pape comme évêque de Rome, primus inter pares, énonçant ainsi un « collège épiscopal » auquel Paul VI donnera une existence concrète par la tenue régulière de synodes romains. Le Concile avait également insisté sur le sens de la foi des fidèles, dans sa Constitution sur l’Église. La formation, le ministère et la vie des prêtres avaient été l’objet de deux décrets ; un autre a été consacré à l’apostolat des laïcs. Mais l’articulation évêques-prêtres et laïcs-prêtres n’avait pas été suffisamment définie, en tous cas pas de manière concrète et contraignante, même avec la révision du code de droit canonique (1983). Le retour au caractère essentiel de la synodalité de l’Église, et sa mise à jour, apparaît ainsi comme une initiative heureuse et nécessaire du pape François.

Deux autres particularités de ce synode en font un évènement : son ouverture à des non-évêques, dont des femmes, et ses modalités de fonctionnement, comme nous le verrons.

Dans cet article, je ferai écho à trois documents qui ont marqué la clôture de cette première session (dans l’ordre de parution) :

  1. La prise de parole du pape au début de la congrégation du 25/10 (la dernière de cette session),
  2. La lettre de l’assemblée adressée « au Peuple de Dieu »,

III. Le document de synthèse de cette première partie du synode sur la Synodalité.

Ce que je retiens de l’ allocution du pape à l’ouverture de la dernière congrégation du synode sur la synodalité[3] le 25 octobre 2023.

Avec son parler simple et direct, le pape ne s’est pas adressé à l’assemblée pour tirer par avance les conclusions de cette première partie du synode, mais pour exprimer quelques idées fortes. Il a repris la définition de l’Église comme Peuple de Dieu, en disant : « Jésus, pour son Église, n’a adopté aucun des schémas politiques de son temps : ni pharisiens, ni sadducéens, ni esséniens, ni zélotes. Pas de « corporation fermée », il a simplement repris la tradition d’Israël : « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». » Il a aussi précisé : « L’une des caractéristiques de ce peuple est son « infaillibilité »: « Oui, il faut le dire: il est infaillible dans la foi comme le dit Lumen Gentium. Si vous voulez savoir ce que l’Église veut dire, vous lisez le Magistère, mais si vous voulez penser comme l’Église, tournez-vous vers le peuple. » Il a fait une apologie appuyée de la femme et, ne craignant pas le paradoxe, il a déclaré : « La femme est le reflet de l’Église, l’Église est féminine, elle est épouse et mère. » Enfin, il a dénoncé de nouveau certaines attitudes cléricales : « lorsque les ministres dépassent leur service et maltraitent le peuple de Dieu, ils défigurent le visage de l’Église, ils l’abîment avec des attitudes machistes et dictatoriales. »

Selon son goût pour le concret, l’anecdote ou le détail qui en disent long, il a exprimé sa douleur à propos de  « ces «jeunes prêtres » que l’on voit dans les ateliers des tailleurs ecclésiastiques, « essayant des soutanes et des chapeaux ou des robes et des bobines avec de la dentelle ». Et il a de nouveau fustigé le « scandale » du cléricalisme qui « est un fouet, un fléau, une forme de mondanité qui salit et abîme le visage de l’épouse du Seigneur, qui asservit le peuple saint et fidèle de Dieu. »

Au total, rien de nouveau ? Non, si l’on considère seulement ces idées. Mais il faut aussi considérer que le pape s’est bien gardé de conclure formellement le synode, et que les répétitions marquent sans aucun doute la ligne rouge qu’il ne laissera pas franchir.

  1. En réponse à la « lettre au Peuple de Dieu de l’assemblée synodale »[4]

Quelle joie d’apprendre que l’assemblée synodale a voulu, avant même la publication de sa synthèse de fin de session, adresser une « lettre au Peuple de Dieu ». Cet intitulé, identique à celui de la lettre du pape François de 2018, et qui reprend celui de la constitution de l’Église, Lumen gentium, du Concile de Vatican II, semblait de bon augure. Nous allons voir ce que qui est réellement derrière cet emprunt osé. On y trouve quelques formules convenues sur un ton onctueux, mais devenues des antiennes sans saveur comme « pour progresser dans son discernement, l’Église a absolument besoin de se mettre à l’écoute de tous, en commençant par les plus pauvres ». On évoque les laïcs, en précisant « hommes et femmes » (sic) comme si on voulait affirmer leur égalité. Et tout à coup patatras ! Lapsus révélateur, tout s’écroule. On lit en effet : « L’Église a (..) besoin d’écouter les laïcs, femmes et hommes (…) l’enthousiasme des jeunes, leurs questions et leurs appels; les rêves des anciens, leur sagesse et leur mémoire. L’Église a besoin de se mettre à l’écoute des familles… », etc., etc. On croit faire un mauvais rêve.

En effet, si l’Église a besoin d’écouter les laïcs (de tous genres), cela ne veut-il pas dire que les laïcs ne font pas partie de « l’Église » ? Celle-ci n’est plus du tout le Peuple de Dieu, mais une structure institutionnelle, cléricale et hiérarchique qui domine ce Peuple de Dieu, et parle à sa place. C’est bien le sens qui est donné habituellement à « l’Église » dans le français courant parlé ou écrit, mais c’est un contresens, pire une hérésie, en termes d’ecclésiologie. À l’inverse, si l’on comprenait : « l’Église, qui est le Peuple de Dieu, doit écouter les laïcs… », cela reviendrait à dire que le Peuple de Dieu doit s’écouter lui-même : non-sens ! Certes, l’entre-soi est endémique dans la structure institutionnelle, inculqué dès l’entrée dans les pépinières catholiques (séminaires), et soigneusement entretenu ensuite. Mais cette interprétation ne tient pas.Comment imaginer que l’assemblée du synode sur la synodalité puisse distinguer « l’Église » du reste de la population ? Est-ce ainsi que nous allons marcher ensemble ? De fait, c’est ainsi que nous sommes partis, séparément, dans la phase préparatoire du synode, et mal partis. Dans la prière lettre de Pierre, on lit que : « jadis, vous n’étiez pas un peuple, mais vous êtes maintenant le peuple de Dieu » (1P 2,10). Il n’est pas exclu de penser que les auteurs de cette lettre sabotent le chemin synodal en voulant que maintenant soit comme jadis.

III. Présentation et commentaires du document de synthèse de la première session du synode sur la Synodalité[5]

Les membres du Synode sur l’avenir de l’Église ont voté dans la soirée du 28 octobre 2023, à la majorité des 2/3, après un mois de travail, un rapport de synthèse, intitulé « Une Église synodale en mission »[6]. Ce document doit guider l’Église catholique dans sa réforme jusqu’à la prochaine et dernière session du Synode prévue en octobre 2024 [7]

Il faut d’abord retenir les méthodes de travail, nouvelles pour ce type d’assemblée et qui ont été particulièrement appréciées par les participants :

– le dialogue selon « la conversation dans l’Esprit »[8] qui,  autour de tables rondes toutes semblables, priorise l’écoute silencieuse et le recours aux différentes modalités du discernement ecclésial. Cette façon de travailler a été comprise comme emblématique d’une Église qui se veut en chemin synodal.[9]

– la rédaction de la synthèse selon les modalités du consensus différencié : sur chaque point on reconnait d’abord les convergences avant d’énoncer les différences (à « considérer comme des richesses »), et de dégager les points à approfondir.

Le document de 42 pages comporte trois parties. La première brosse les traits du « visage d’une Église synodale » ; la seconde, intitulée « tous disciples, tous missionnaires » examine les personnes impliquées dans la vie et la mission de l’Église et leurs relations réciproques. Cette partie présente surtout la synodalité comme un cheminement, ensemble, de tout le Peuple de Dieu et comme un dialogue fructueux entre les charismes et les ministères au service de l’advenue du Royaume. La troisième partie a pour titre « créer des liens, construire la communauté ». J’ai conservé les titres, le plan et sa numérotation ainsi que la division des paragraphes.

  1. Le visage d’une Église synodale
  2. La synodalité : expérience et compréhension

De l’aveu même des participants au Synode, le terme « synodalité » reste « inconnu de nombreux membres du Peuple de Dieu » et « suscite confusion et inquiétude chez certains », chez « ceux qui craignent une rupture avec la tradition, un affaiblissement de la nature hiérarchique de l’Église, le changement en général et des enseignements de l’Église en particulier et une perte de pouvoir ou de privilèges… d’où la résistance de certains d’entre eux à la synodalité. Cependant nous croyons que la synodalité est une expression de la dynamique de la Tradition vivante. » Ce constat « officiel » des résistances corrobore ce que l’on a observé et ressenti dès l’annonce du synode par le pape le 4 avril 2020 et durant la phase préparatoire.

Ensuite est énoncé ce qu’est la synodalité : « au sens large, on peut la comprendre comme des chrétiens marchant, en communion avec le Christ, avec l’humanité tout entière, vers le Royaume de Dieu. Elle est orientée vers la mission, et sa mise en œuvre implique la réunion d’assemblées à chaque niveau de la vie ecclésiale. Pour cela, l’écoute réciproque, le dialogue, le discernement communautaire, l’établissement d’un consensus sont nécessaires pour exprimer la présence du Christ présent dans le Saint-Esprit,  chacun prenant les décisions selon ses responsabilités ».[10] En dépit d’un accord général sur le fait que la synodalité représente l’avenir de l’Église, certains ont souhaité que soient clarifiée la signification de la synodalité à divers niveaux, en termes pastoraux, théologiques et canoniques. Désir de précisions ou manœuvres de ralentissement ? En effet, la littérature est déjà abondante.[11]

Sur ce point général, l’assemblée exprime « la nécessité d’impliquer plus activement le clergé (diacres, prêtres et évêques) dans le processus synodal durant l’inter-session ». C’est dire implicitement le constat d’ensemble du peu d’implications des clercs, du moins jusqu’à présent ; constat qui nécessite d’être analysé et interprété si l’on veut que l’inertie, voire l’opposition, manifestées, ne fassent pas capoter, au minimum retarder le mouvement.                                                  

  1. Rassemblés et envoyés par l’Esprit Sain

L’assemblée reprend la définition de l’Église selon l’enseignement de Vatican II : « un peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (LG 4). Elle déclare nécessaire que tous les baptisés mettent en œuvre leur vocation, charisme et ministère. Plus nouveau est ce développement : « la perspective synodale, déjà guidée par l’héritage de la Tradition, doit contribuer au renouvellement de ses formes : une prière ouverte à la participation, un discernement communautaire, et un dynamisme missionnaire provenant du partage et du service ». Plus pratique, cette indication : « les critères du discernement ecclésial impliquent la nécessité de préciser les relations entre l’écoute de la parole de Dieu transmise dans les Écritures, la réception de la Tradition et du Magistère de l’Église, et la lecture prophétique des signes des temps. »

  1. L’entrée dans la communauté de foi : l’initiation chrétienne

L’assemblée synodale fait sienne l’affirmation conciliaire d’une égale dignité de tous les baptisés, lesquels possèdent un instinct pour la vérité de l’évangile, le sensus fidei, et elle considère que la pratique de la synodalité valorise ce don, permettant de confirmer ce sensus fidelium, et de s’assurer qu’une doctrine ou pratique particulière appartient bien à la foi apostolique. Cette reprise d’énoncés de Vatican II, après plus de cinquante ans, montre combien leur compréhension et leur recours en pratique sont déficients.

Ensuite, prenant à contre-pied l’attitude qui consiste à n’autoriser le dimanche que les eucharisties présidées par un prêtre, quitte à élargir sans fin les territoires paroissiaux, l’assemblée déclare que « les communautés désirant l’eucharistie, mais ne pouvant y accéder, sont autorisées à se rassembler pour célébrer une liturgie de la parole ». Il est donc reconnu légitime de recourir aux ADAP, mais selon l’interprétation donnée à « l’impossibilité d’accès » à l’eucharistie. Pour mener une prière communautaire, il faut proposer des schémas adaptés et structurés centrés sur la parole de Dieu. Et, pourquoi pas, recourir à la réserve eucharistique dont c’est la raison d’être.                

L’assemblée a estimé nécessaire de rendre plus accessible le langage liturgique. Pour cela il faut, évidemment, utiliser la langue vernaculaire tout en osant actualiser des vocables hérités de cultures antiques gréco-romaines. L’assemblée ne l’a pas énoncé, mais peut-être faut-il interdire les célébrations en latin, car cela expose les non-latinistes à l’obscurantisme, voire à la superstition. 

  1. Les pauvres protagonistes du chemin synodal

C’est l’amour que les pauvres attendent de l’Église, c’est-à-dire respect et reconnaissance, sans lesquels les secours de toutes sortes, bien qu’utiles, ne prennent pas pleinement en compte leur dignité. Une véritable rencontre avec un pauvre passe par l’écoute qui est le début d’un cheminement vers les réponses aux besoins, et c’est la façon de rendre concret le chemin synodal de l’Église.

Le synode rappelle, avec justesse, qu’il n’y a pas une seule sorte de pauvreté. Il y a, bien sûr, ceux qui manquent des moyens nécessaires pour vivre décemment : les migrants et les réfugiés, ceux qui subissent violences et abus, particulièrement les femmes ; les drogués, les minorités, les personnes âgées et délaissées, etc. Mais, à côté des formes matérielles de pauvreté, il y a aussi des pauvretés affectives (solitude) et spirituelles (ceux pour lesquels la vie n’a pas de sens), sans compter l’idolâtrie de l’argent, du sexe, et du pouvoir.

Dans le registre de la pauvreté, il faut également considérer la façon dont l’institution ecclésiale traite trop souvent ceux qu’elle emploie directement ou indirectement. Est-elle juste, cohérente et honnête envers eux ? Le synode estime nécessaire, pour contribuer à faire connaître la doctrine sociale chrétienne de l’Église, de commencer par l’appliquer. Il est certain que l’institution a beaucoup à apprendre des sociétés civiles sur ce point, car, dans la réalité, son retard est significatif.     

L’Église doit aussi s’interroger honnêtement sur les motivations et le sens des prêtres « venus d’ailleurs » et qui ne veulent pas toujours revenir dans leurs diocèses d’origine, ainsi que sur le sens de la théologie pastorale de qui les appelle.

  1. Une Église qui accueille les hommes de toutes tribus, langues, peuples et nations

Le synode recommande d’être sensible aux richesses de la diversité. Elle invite à prendre en compte à la fois la dimension universelle de l ’Église et ses racines locales, dans un équilibre en tension entre la nécessaire unité et le respect des différences. Il estime qu’une décentralisation est nécessaire pour prendre en compte les contextes locaux, et qu’il faut élaborer un cadre commun pour gérer et évaluer les expériences de décentralisation, tenant compte de l’apport de tous les acteurs, aux différents niveaux.

  1. En route vers l’unité des chrétiens   

Comme ceux qui l’ont suivie à Rome ou à distance, les membres du synode estiment que la prière « ensemble » de la vigile d’ouverture de cette session était un geste œcuménique profond. Ils reconnaissent le baptême, racine du principe de synodalité, est aussi le fondement de l’œcuménisme.  Qui plus est, ils déclarent que « par le baptême, tous les chrétiens participent au sensus fidei »[12] et, pour cette raison ils devraient être écoutés soigneusement, indépendamment de leurs traditions, comme l’assemblée synodale l’a fait dans son exercice de discernement. Il ne peut pas y avoir de synodalité sans la dimension œcuménique. Ils estiment important que l’œcuménisme soit, d’abord et avant tout, une pratique de la vie quotidienne, ainsi que dans le dialogue théologique et institutionnel. Ils placent, parmi les sujets à travailler, la compréhension différente de la synodalité par les orthodoxes, ainsi que les liens entre synodalité et primauté, aux différents niveaux (local, régional, universel) et leur interdépendance.

Dans cet esprit et de façon pratique, ils proposent une commémoration commune du concile de Nicée  (325) et, constatant qu’en 2025 la date de Pâques sera la même pour toutes les Églises et communautés chrétiennes, ils souhaitent aller vers une définition commune pérenne de la date de cette festivité. Ils souhaitent également qu’un plus grand nombre de « délégués fraternels » soit invité lors de la prochaine session en 2024.

  1. Tous disciples, tous missionnaires
  2. L’Église en mission

Chaque chrétien est en mission, selon son charisme, sa vocation, ses rôles et fonctions selon le corps du Christ que décrit Saint Paul (1Cor 4,31). De ce fait, la co-responsabilité, essentielle pour la synodalité, est nécessaire à tous les niveaux de l’Église.[13]

On sait que la co-responsabilité est un concept qui effraie ceux qui ont l’habitude de ne pas partager le pouvoir, préférant la délégation, le vicariat, la subordination. Or, la co-responsabilité peut, éventualité théorique, conduire à la limitation fonctionnelle de clercs, avec en corollaire, la restriction de responsabilité qui s’en suit. Le pape François en a donné l’exemple par des nominations de laïcs aux plus hauts niveaux de la curie éventuellement, en se basant d’abord sur les compétences.

Reprenant des énoncés du décret sur l’apostolat des laïcs de Vatican II, le synode estime que ce sont, « avant tout » (sic) les laïcs qui rendent l’Église présente et qui proclament l’évangile. Si tel est bien le cas, on peut penser que les clercs manquent à leur devoir premier. Cette co-responsabilité, prônée par certains depuis des lustres, rejetée de fait dans la grande majorité des situations, risque de rester un vœu pieux si l’on considère que le synode estime le besoin de continuer l’approfondissement théologique des relations entre charisme et ministères. On est loin du praticisme prôné pour l’œcuménisme et loin aussi de suivre l’exemple du pape François. Cela n’empêche pas le synode d’exprimer le besoin de davantage de créativité dans l’institution de nouveaux ministères suivant les besoins des églises locales. Dans la foulée il pense possible d’élargir le lectorat et d’en faire un plein ministère de la Parole de Dieu, pouvant aller jusqu’au prêche selon les contextes.

9. Les femmes dans la vie et la mission de l’Église

Il y a convergence sur tous les éloges de la féminité dont toutes les qualités sont flattées. Toutefois, le synode estime qu’il y a des points à approfondir comme, par exemple, l’accès des femmes au diaconat, mais les membres du synode expriment le vœu (sic) de voir aboutir les recherches sur le diaconat avant prochaine session. Plus concrètement, ils dénoncent les injustices et les rémunérations malhonnêtes de certains emplois ecclésiaux touchant spécialement des femmes consacrées, trop souvent traitées comme une main-d’œuvre bon marché.

Les membres condamnent le cléricalisme et la nécessité d’éviter les risques de formalisme et d’idéologie conduisant à l’autoritarisme et entravant la véritable croissance vocationnelle. Comme moyen de palliation, ils estiment nécessaire de revoir les programmes de formation. Le célibat des prêtres n’est toujours pas un sujet de discussion.

Par contre, le synode considère de la plus haute importance d’exercer la transparence et de développer une culture de responsabilité (en rendant des comptes) pour avancer dans la construction d’une Église synodale.[14] Ils demandent aux églises locales d’établir des procédures et des instances permettant des audits réguliers pour évaluer comment prêtres et diacres exercent leurs rôle et assument leurs responsabilités de leurs ministères. Mais il n’émet aucune directive ni indication sur les personnes et la façon dont ces instances doivent être établies.

  1. L’évêque dans la communion ecclésiale

Le synode estime également nécessaire de mettre en place, selon des formes légales à définir, des procédures et instances permettant d’évaluer régulièrement l’activité des évêques, qui tiendraient compte de leur façon d’exercer l’autorité, de gérer les biens du diocèse, de faire fonctionner des organes de participation et de la protection des abus sur les enfants. Rendre des comptes fait partie de la « culture » d’une Église synodale qui promeut la co-responsabilité et se veut une maison sûre. Le synode ne fait aucune suggestion concrète, mais appelle à élargir les consultations du Peuple de Dieu en incluant un plus grand nombre de laïcs et personnes consacrées. On peut craindre qu’on n’aille pas au-delà de ces pieuses recommandations, dont la mise en œuvre dépend justement de la seule volonté des évêques.

NB : la Conférence des évêques de France a mis en place des objectifs de « lutte contre la pédophilie ». Si les abus sexuels sur les enfants sont d’une particulière gravité, il serait cependant réducteur et erroné de se cantonner à la pédophilie. Les abus sexuels sur majeurs ne sont pas non plus sans gravité ni conséquences, et il ne faut pas circonscrire les emprises aux seuls abus sexuels. Il ne faut pas perdre de vue que les abus quotidiens sont des abus d’autorité. Abus contre l’intelligence et abus spirituels sont des contre-témoignages évangéliques et des atteintes à la dignité des personnes (« l’égale dignité des baptisés » souffre en permanence). Tous ces abus sont susceptibles de s’enchainer et conduire au pire. C’est pourquoi il faut, à mon sens, commencer par lutter contre l’autoritarisme sachant que, dans certains cas, la désobéissance, l’objection de conscience sont justes et bonnes, faciles et sans risques (sauf pour les salariés de l’Église). 

  1. Tisser des liens, bâtir des communautés
  2. Une formation à la synodalité

La formation nécessite d’être elle-même synodale, c’est-à-dire que tout le Peuple de Dieu, laïcs et ministres consacrés ou ordonnés, devrait être formé ensemble pour cheminer ensemble. Il y a besoin de dépasser la notion de délégation ou « envoi en mission » si fréquents. L’assemblée craint que les formations séparées créent des environnements artificiellement séparés de la vie de foi ordinaire. C’est effectivement ce que l’on observe souvent. Comment ne pas s’interroger, par exemple, sur les formations dispensées au séminaire et qui font, pour partie, doublon avec celles proposées à Rouen par le CTU puis l’INSR ? Faut-il faire primer la différence des flux financiers ou la volonté de séparer et sacraliser les clercs? En tout cas, cette situation se fait aux dépens de l’égale dignité des baptisés et du témoignage évangélique.                 

  1. Vers une Église qui écoute et accompagne

Beaucoup de gens se sentent marginalisés ou exclus de l’Église du fait de leur situation maritale, de leur origine ou de leur sexualité, alors qu’ils demandent à être accompagnés. L’assemblée veut témoigner de son amour profond, sa miséricorde et sa compassion pour tous ceux qui sont,, ou se sentent, blessés et négligés par l’Église.

Ils n’ont pas tort, car depuis longtemps, l’Église laisse partir sans les écouter ni les voir et surtout pas les accompagner, tous ceux qui sont mal à l’aise en son sein, au point de s’y sentir étranger du fait de leur foi. Ils sont comme des brebis sans bergers. Pour apprécier l’ampleur du problème, il suffit de savoir que, encore maintenant, 50 % des Français interrogés se déclarent chrétiens, tandis que 2 à 3 % seulement vont à la messe. Qui s’intéresse à eux ? Ils sont les enfants dispersés que l’on prie Dieu de rassembler sans imaginer qu’ils puissent l’être ailleurs et autrement qu’en allant dans les églises. Qui les écoute ? Ils ont été ignorés dans la préparation du synode qui ne s’est adressé qu’aux fidèles à la messe ou dans les mouvements. Facilité, mépris ou exclusion de fait ? Pourtant, eux aussi sont baptisés et participent au sens de la foi, mais ils ne se reconnaissent pas dans cette structure qui les ignore superbement. Ne sont-ils pas eux aussi des pauvres, et les plus nombreux des pauvres ? Il faut se demander où est réellement le Peuple de Dieu, sans compter tous ceux qui, ignorés par les « pasteurs » et ignorant l’évangile, « s’efforcent d’accomplir dans leurs actes la volonté de Dieu qu’ils connaissent par les injonctions de leur conscience » (LG 16). En voilà de nombreux pauvres, car abandonnés, qui ont à nous apprendre.

Nonobstant cette situation, qui crève les yeux du plus grand nombre, et le cœur de certains, l’assemblée synodale affirme que l’Église veut écouter chacun, pas seulement ceux qui peuvent facilement faire entendre leur voix. Vivre sous l’oppression de régimes étatiques dictatoriaux rend difficile de s’exprimer publiquement. C’est malheureusement ce qui peut arriver aussi dans les communautés chrétiennes quand l’exercice de l’autorité se fait oppressive plutôt que libératrice.

  1. Des structures pour participer             

La co-responsabilité véritable atteste que nous sommes réellement réunis en Jésus-Christ, ce qui nous libère des limites bureaucratiques et de la logique de pouvoir et rend cette union fructueuse. Cette co-responsabilité de tous dans la mission doit être le critère structurant les communautés et services. La reconnaissance du rôle missionnaire des laïcs ne peut pas être le prétexte pour réserver le soin des communautés aux seuls évêques et prêtres.

Ici s’arrêtent les extraits de la synthèse du synode et mes commentaires ajoutés. Il aurait sans doute été bon que les deux soient distingués par la typographie. Le lecteur voudra bien considérer que le temps était limité entre la parution de cette synthèse et celle du Bulletin. Il voudra donc bien m’excuser et il pourra, s’il en éprouve le besoin, se référer au document publié sur le site du Vatican.

Conclusion

Finalement, de cette session synodale, je pense qu’on peut retenir des paroles et des actes forts et significatifs dont on peut espérer qu’ils seront efficaces. Il faut souligner la large réception (grâce à la télévision) et le sens de la veillée œcuménique qui a, en quelque sorte, ouvert cette session. On peut y ajouter la participation durant le synode de chrétiens de confessions non catholiques. Et le synode a souhaité leur donner une place plus conséquente lors de la prochaine session.

De même il faut se réjouir, sur le plan ecclésiologique, de l’ouverture du synode, avec de droit de vote à des non évêques, hommes et femmes, laïcs, prêtres ou religieux(ses). Cette ouverture est inédite et elle constitue un signe appuyé de reconnaissance du sens de la foi de tout le Peuple de Dieu et de la mission de tous les baptisés selon leurs charismes.[15] Cette ouverture est timide si l’on se réfère à la démographie, mais ses modalités pourront évoluer.

Des travaux de l’assemblée, il ne ressort pas de prises de position fracassantes, mais des propositions, certes modestes, mais utiles et faciles à mettre en œuvre comme, par exemple, l’ouverture possible des prêches aux laïcs. Surtout, elle semble vouloir que soit établi, à tous les niveaux, le principe de co-responsabilité, longtemps évoqué et rarement appliqué sans lequel il n’y a pas de synodalité concrète. Il faut bien admettre que subordination, délégation, etc. ne sont pas des co-responsabilités. Parallèlement, l’assemblée estime nécessaire les évaluations régulières (selon des critères à définir) par des instances (à créer) devant lesquelles les responsables, à tous niveaux, auraient à rendre compte. Aux tous pouvoirs consacrés, le synode oppose ainsi une responsabilité pour une mission donnée et la nécessité des contrôles. C’est évidemment, une condition de la mise en œuvre du concept de synodalité et, parallèlement un moyen de combattre le cléricalisme, ses abus et ses conséquences.

Il faut surtout retenir les modalités de son fonctionnement : disposition en tables rondes disant l’égalité de tous les membres, l’écoute dans l’Esprit, le discernement communautaire et les conclusions élaborées et rédigées selon le consensus différentiel[16]. Il acte les points d’accord, énonce les différences ou divergences et émet des pistes pour les approfondir et des propositions pour les résoudre. Cette méthode exemplaire est, en soi, un cheminement synodal et œcuménique.

Son élargissement (à géométrie variable) et son fonctionnement (intellectuel et spirituel) font de ce type d’assemblée une alternative concrète à des conciles œcuméniques devenus impossibles. Cette session fut donc particulièrement innovante grâce aux volontés claires du pape François, appuyé sur la spiritualité et la pédagogie ignaciennes.

       Bernard Paillot

[1] J.H. Newman fut le pionnier de la formulation du concept dans « An essay on the development of Christian doctrine » (1845). L’idée a fait du chemin et a été reprise lors du concile Vatican II.

[2] Je reprends à dessein l’expression du livre de J.W. O’Malley L’évènement Vatican II,  Lessius, 2011.

[3] L’intervention du Saint-Père à la 18e Congrégation générale de la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques (25 octobre 2023) est disponible en espagnol : https://www.vatican.va/content/francesco/es/speeches/2023/october/documents/20231025-intervento-sinodo.html

Mon propos est basé sur l’article de S. Cernuzio publié dans Vatican news :  https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2023-10/francois-synode-synodalite-lettre-au-peuple-de-dieu.html?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=NewsletterVN-FR

[4] https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2023-10/lettre-de-la-16eme-assemblee-generale-ordinaire-du-synode-des-ev.html?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=NewsletterVN-FR consulté le 30/10/2023.

[5] Il faut avoir à l’esprit que cette partie de mon article n’est pas un simple résumé. En sélectionnant tel ou tel point et en omettant d’autres, il est clair que j’ai fait des choix, de même que je m’autorise quelques commentaires. Le lecteur peut revenir quand bon lui semble au texte de référence (mais en anglais) à l’adresse ci-après: https://www.synod.va/en/news/a-synodal-church-in-mission.html

[6] https://press.vatican.va/content/salastampa/it/bollettino/pubblico/2023/10/28/0751/01653.html#sintesi consulté le 01/11/2023.

[7] Aujourd’hui, il n’y a pas encore de version française de ce document. J’ai donc travaillé sur la version anglaise que j’ai traduite.

[8] « Cette expression signifie d’avantage que dialogue. Elle signifie vivre l’expérience du partage à la lumière de la foi et de la recherche du dessein de Dieu dans un esprit authentiquement évangélique qui permet d’entendre, sans aucun doute, la voix du Saint-Esprit » (I-2 d).

[9] Certains y ont vu l’image biblique du repas de noce ( Ap. 19,9).

[10] Je ne peux m’empêcher de penser au livre « Délibérer en Église » (Lessius, 2010) dirigé par Alfred Borras lequel est invité en tant qu’expert et facilitateur au synode. De nombreuses publications d’A. Borras sont en rapport avec le sujet. Il nous avait fait l’honneur d’une conférence débat diffusée par l’INSR en décembre 2020.

[11] En particulier deux documents de la Commission théologique internationale, consultés le 01/11/2023 :

La synodalité dans la vie et la mission de l’Église, Éd. du Cerf, 2019

http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documentsrc_cti_20180302_sinodalita_fr.html

Le « sensus fidei » dans la vie de l’Église, Cerf 2014 https://www.vatican.va/roman_curia/c

[12] C’est moi qui souligne.

[13] C’est encore moi qui souligne.

[14] C’est toujours moi qui souligne.

[15] Cf. évidemment 1Co 12.

[16] Méthode qui a permis d’aboutir à la déclaration commune luthéro-catholique sur la doctrine de la justification en 1999.

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