Depuis longtemps agacée par la disparition du terme de professeur au profit de celui d’enseignant pour désigner celles et les rares ceux qui prennent en charge la masse d’élèves déversés dans l’enseignement secondaire, je note que Samuel Paty, de par le martyre qu’il a subi, est désormais qualifié du titre de professeur dans les media.
Il a donc fallu passer par l’horreur d’une décapitation pour revenir au respect qu’inspirait autrefois la fonction de ceux qui professent leur foi dans la culture, dans le savoir, dans l’effort. Il a fallu qu’un enseignant soit saigné en public pour qu’on consente à voir en lui autre chose qu’un rouage à mouliner du programme éphémère devant un public auquel il est totalement inadapté ! La politique de nivellement par le bas menée depuis le slogan de Jean-Pierre Chevènement : « 80 % d’une génération au niveau du bac », en 1985 – vite converti sous le manteau en : « Un bac au niveau de 80 % d’une génération » – a saigné de façon métaphorique des dizaines de milliers d’enseignants : les uns se sont résignés en faisant profil bas, tâchant de sauver les meubles comme ils pouvaient selon leurs moyens propres, d’autres ont fui un métier dévalorisé moralement et financièrement ; quelques-uns ont alimenté, par conviction idéologique ou autre, l’illusion de la montée du niveau des élèves, savamment orchestrée par une politique d’évaluation soigneusement pipée.
Qu’un terroriste abreuve nos sillons et voilà nos yeux décillés – pour combien de temps ? – devant le gouffre creusé par l’Éducation Nationale, ainsi nommée depuis qu’elle n’éduque plus, encore un paradoxe ; il faut dire qu’elle n’instruit plus et que le terme désuet d’Instruction Publique ne serait pas plus approprié… Notre magnifique édifice scolaire est plutôt devenu une sorte de garderie géante pour une jeunesse dont on ne sait que faire, livrée à des manipulations technologiques que personne ne maîtrise, et pour laquelle le corps enseignant fait figure de sorciers agitant des gris-gris d’un autre âge…
Que l’un de ces personnages anachroniques se permette de croire encore à sa vocation de professeur, il risquait naguère une agression verbale ou physique ; on sait maintenant qu’il risque sa vie : la discrète saignée morale du corps enseignant éclate au grand jour. L’Éducation Nationale est un corps gangrené par le mythe de l’allongement de la durée des études pour tous comme nec plus ultra du Progrès : il serait de procéder à une amputation pour remplacer cette usine à chômeurs en une école de la vie en société qui ne peut fonctionner que par l’idée de service et de complémentarité.
Cette remise en cause donnerait du sens au sacrifice de ce professeur courageux qui a rendu son nom à une fonction qu’il est urgent de réévaluer, et éviterait peut-être qu’il ne soit le premier d’une longue liste.