Jean-Marie Lustiger. Entre crises et recompositions catholiques (1954-2007). (sous la dir. de Denis Pelletier et de Benoit Pellistrandi). Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2022. 365 p. (Sciences des religions)
Jean-Marie Lustiger occupe une place exceptionnelle dans l’histoire contemporaine. Fils d’immigrés polonais, enfant juif converti au catholicisme avant de découvrir sa vocation de prêtre, aumônier des étudiants parisiens devenu évêque d’Orléans puis archevêque de Paris, il fut l’interlocuteur de François Mitterrand et l’ami de Jean-Paul II. Académicien, acteur du renouveau liturgique et bâtisseur d’églises, il s’engagea dans le débat de son temps, en homme de conviction dont la voix était respectée bien au-delà du monde catholique.
Ce volume rassemblé par Denis Pelletier (Historien, EPHE) et Benoît Pellistrandi (Historien, Institut Jean-Marie Lustiger ) est le fruit d’un colloque qui s’est tenu des 12 au 14 octobre 2017 à Paris, à l’Ecole Normale Supérieure (ENS Ulm), à l’Institut de France et au Collège des Bernardins, avec le soutien de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE, PSL), de l’Association française d’histoire religieuse contemporaine (AFHRC) et groupe Sociétés, religions, laïcités (GSRL-CNRS).
La première partie de l’ouvrage concerne le parcours ecclésial du cardinal-archevêque. Denis Pelletier dresse un portrait intellectuel de Mgr Lustiger. « Demeurer juif en restant chrétien, c’est donner un sens nouveau à la conversion, au risque que la « crise » devienne le fondement même du rapport à soi et au monde. Dans l’itinéraire d’Aron Jean-Marie Lustiger, les crises intimes ne cessent de croiser celles du monde », précise-t-il. Sa mère meurt à Auschwitz en février 1943. Son père qui avait accepté les baptêmes de ses deux enfants en 1940 veut les annuler à la Libération. Contre l’avis de son père, Jean-Marie Lustiger entre au séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux. Il est ordonné prêtre le 17 avril 1954 dans la chapelle des Carmes à Paris. Denis Pelletier indique que cette crise n’est pas sans rappeler le reproche du rabbin Lau lors d’un colloque de l’université de Tel-Aviv sur « le silence de Dieu » pendant la Shoah à propos de cet homme qui avait « abandonné » le judaïsme pendant la plus sombre période de son histoire.
Accusé sur la trahison des pères, « Lustiger opposa donc une réflexion sur le rapport entre le singulier et l’universel qui porte en elle l’élection du peuple d’Israël ». Par ailleurs toute sa vie est jalonnée de moments de crises : ordonné en 1954 au lendemain de la condamnation des prêtres-ouvriers, il connaît la crise des mouvements de jeunesse (1959) au Centre Richelieu. Il succède à Mgr Riobé sur le siège d’Orléans (1979). Il revient comme archevêque à Paris (1981). Des tensions avec l’Etat se succèdent sur le projet Savary (1984) et les questions de bioéthiques (1994). Il refuse d’être présent à la panthéonisation de l’abbé Grégoire (1989) au moment du Bicentenaire. Créé cardinal en 1983, il joue un rôle central dans les relations avec les juifs lors de l’affaire du Carmel d’Auschwitz (1985-1993), l’affaire Touvier (1989-1994) et la déclaration de repentance de l’épiscopat en 1997. Parfois il s’affronte à une partie de l’opinion publique, voire à certains collègues de l’épiscopat. L’itinéraire intellectuel et spirituel de Jean-Marie Lustiger est « au fondement de la relation de la crise consentie que n’a cessé d’entretenir avec la modernité cet homme que rien ne destinait à l’origine à jouer le rôle qui fut le sien au seine de l’Église postconciliaire ».
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à « L’archevêque et sa mission » : le prédicateur, la théologie politique (l’évêque dans la cité), l’administration financière du diocèse, les réseaux Lustiger, le bâtisseur, les prêtres et les laïcs, les JMJ (1997), Jean-Marie Lustiger et Jean-Paul II (les crises partagées : crise du catholicisme français, la nécessité d’une nouvelle évangélisation, la mission du pape, la relation au judaïsme ; une relation de confiance ; une grande admiration pour Jean-Paul II ; le silence sur les désaccords ?)
La troisième et dernière partie est intitulée « Dans les débats et dans les combats ». Sont évoqués : les manifestations scolaires (1984), les traditionalistes et les intégristes, la gauche catholique, l’autorité archiépiscopale et la figure de l’intellectuel catholique, la recomposition du rapport entre judaïsme et catholicisme, l’affaire du Carmel d’Auschwitz, les juifs orthodoxes au niveau international, la modernité démocratique, Jean-Marie Lustiger et l’histoire.
De l’occupation aux « années 68 » et à l’effondrement du bloc de l’Est, Jean-Marie Lustiger a traversé en chrétien et en prêtre toutes les crises du second vingtième siècle, suscitant aussi des controverses que le temps qui passe n’a pas toutes éteintes. Quinze ans après sa mort, ce livre réunit autour de lui des spécialistes d’histoire et de théologie, de science politique et d’histoire de l’art. Il fait également place aux témoignages d’acteurs et d’actrices qui ont côtoyé le « premier cardinal juif de l’histoire », ainsi qu’il se définissait lui-même.
Grâce à l’Institut Lustiger, qui a généreusement ouvert ses archives et permis que l’entreprise soit menée à terme, les auteurs dressent ainsi le premier portrait, à plusieurs voix, de cette figure hors du commun de notre histoire récente.
Cet ouvrage est une des plus récentes études sur le cardinal-archevêque de Paris. A lire avec intérêt.
avec le soutien de l’Institut Jean-Marie Lustiger
TABLE DES MATIERES : https://s3.eu-west-3.amazonaws.com/nova-pur-production/upload/documents_1/84b6e53c-5913-451e-97dc-cd6ad5e8cb8d.pdf
INTRODUCTION : https://s3.eu-west-3.amazonaws.com/nova-pur-production/upload/documents_1/65d16d7c-30a5-4d48-8084-2bea7670ebb0.pdf
Bulletin Théologique 